MORGANE KUEHNI : La notion de pauvreté est souvent monétaire, parfois multidimensionnelle, absolue ou relative (les seuils retenus varient entre 50 % et 60 % du revenu national médian ou moyen selon les cas). Le taux de pauvreté indique le nombre de personnes vivant en Suisse en dessous du seuil de pauvreté. En 2020, 8,5 % de la population suisse ou quelque 722 000 personnes étaient touchées par la pauvreté en matière de revenu.
L’aide sociale est une prestation sous conditions de ressources, et au-dessus d’un certain seuil, les ménages ou les personnes n’y ont pas droit. Une personne peut être faiblement rémunérée sans être comptabilisée comme pauvre, même si dans les faits elle manque de ressources pour se loger, se nourrir, se soigner, partir en vacances, etc. Certaines personnes qui ont de bas salaires ou qui travaillent à des taux d’occupation partiels souffrent d’un manque de ressources financières. Ces personnes ne bénéficient pas toujours de l’aide sociale, car elles ont des revenus jugés suffisamment élevés, c’est toute la problématique des barèmes. Mentionnons également la problématique des «effets de seuil»: une augmentation de salaire ou de taux d’occupation peut faire perdre un droit aux prestations et ainsi diminuer le revenu disponible (ce qui produit des incitations négatives au travail et qui a été beaucoup discuté dans le champ politique).
"Les chercheur·euse·s estiment
qu’un quart des personnes
qui auraient droit à l’aide sociale
ne la sollicitent pas."
Enfin, une personne peut ne pas être prise en compte par les services sociaux parce qu’elle ne fait pas recours. En effet, certaines personnes auraient droit à un soutien financier qu’elles ne sollicitent pas, car elles n’ont pas l’information ou la connaissance nécessaires pour revendiquer ce droit, mais aussi parce qu’elles ne souhaitent pas y recourir afin d’éviter la stigmatisation, parce qu’elles ne souhaitent pas se « mettre à nu » devant les services sociaux, ou encore pour des raisons politiques. Les chercheur·euse·s estiment qu’un quart des personnes qui auraient droit à l’aide sociale ne la sollicitent pas. Ce qui est particulièrement compliqué avec la pauvreté féminine, c’est qu’au-delà de la question du niveau de revenu, il y a la question du partage des ressources au sein des ménages. Les travaux empiriques ont mis en exergue l’accès limité des femmes aux ressources, mais aussi les normes de genre qui imprègnent la répartition du travail domestique et salarié dans les familles.
Comment définir clairement ce que signifie le mot sous-emploi, en particulier au féminin ?
Est en sous-emploi toute personne active sur le marché du travail qui souhaite travailler davantage et qui est disponible pour le faire. En Suisse, 70 % des personnes en sous-emploi sont des femmes. Ce n’est pas une surprise dans la mesure où elles sont souvent actives à temps partiel, dans des secteurs d’activités fortement féminisés où les salaires sont relativement bas. Le manque d’argent est la raison principale des personnes qui souhaiteraient augmenter leur volume d’emploi (Salin et Nätti, 2019).
"Dans nos sociétés, on pense très souvent
que le travail protège de la pauvreté,
que les pauvres sont celles et ceux qui « ne font rien »,
mais c’est une vision erronée."
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet en particulier ?
Je me suis toujours sentie très concernée par tout ce qui a trait à la pauvreté, en raison de mon parcours de vie et mon engagement féministe. Dans nos sociétés, on pense très souvent que le travail protège de la pauvreté, que les pauvres sont celles et ceux qui « ne font rien », mais c’est une vision erronée. Les femmes travaillent énormément dans la sphère privée sans toutefois toucher d’argent en contrepartie (Federici et al., 2020). Dans la sphère professionnelle, elles cumulent parfois de mauvaises conditions de travail : temps partiel court, bas salaire, contrats précaires. Le sous-emploi offre donc un angle d’analyse particulièrement intéressant, car il se comprend uniquement à l’intersection des différents rapports de domination.